Ce n’est pas une ombre.
Cette sombre chose qui me suit, celle que moi seul peux voir… Ce n’est pas vraiment une ombre. Elle est noirâtre et translucide, mais ne possède pas de contours solides comme les ombres. Elle est dépourvue de substance – informe et légère. Comme si elle était faite d’un brouillard noir.
Ou de brume, peut-être.
20
Vin commençait à se lasser sérieusement du paysage entre Luthadel et Fellise. Elle avait parcouru le même trajet une bonne dizaine de fois ces dernières semaines – contemplant les mêmes collines brunes, les mêmes arbres rachitiques et le même tapis de broussailles envahi par les mauvaises herbes. Elle commençait à avoir le sentiment de pouvoir identifier individuellement chacune des bosses de la route.
Elle avait assisté à de nombreux bals – mais ce n’était que le début. Déjeuners, pique-niques et d’autres formes de distraction quotidiennes étaient tout aussi populaires. Souvent, Vin faisait la navette entre les villes deux, voire trois fois par jour. Apparemment, les jeunes aristocrates n’avaient rien de mieux à faire que passer six heures par jour dans une voiture.
Vin soupira. Non loin d’elle, un groupe de skaa marchait d’un pas traînant le long d’un chemin de halage, tirant une péniche en direction de Luthadel. Sa vie à elle aurait pu être tellement plus désagréable.
Malgré tout, elle éprouvait de la frustration. Il était encore midi, mais aucun événement important n’aurait lieu avant la soirée, si bien qu’elle n’avait nulle part où aller sinon rentrer à Fellise. Elle songeait constamment à quel point elle voyagerait beaucoup plus vite si elle utilisait le chemin de barres métalliques. Elle mourait d’envie de bondir de nouveau à travers les brumes, mais Kelsier rechignait à reprendre sa formation. Il lui autorisait une brève sortie chaque soir afin d’entretenir ses talents, mais elle n’avait plus le droit d’effectuer de sauts extrêmes et excitants. Rien que des mouvements de base – essentiellement attirer et repousser de petits objets tout en étant debout sur le sol.
Sa faiblesse constante commençait à la frustrer. Sa rencontre avec l’Inquisiteur remontait à plus de trois mois ; le gros de l’hiver était passé sans le moindre flocon de neige. Combien de temps lui faudrait-il encore pour guérir ?
Au moins, je peux encore assister aux bals, se dit-elle. Malgré sa lassitude face à ces voyages constants, Vin commençait à apprécier la tâche qu’on lui avait confiée. Se faire passer pour une noble était en réalité bien moins stressant que le travail ordinaire des voleurs. C’était vrai, elle paierait de sa vie si l’on découvrait son secret, mais pour l’heure, la noblesse paraissait disposée à l’accepter – à danser avec elle, dîner avec elle, bavarder avec elle. C’était une vie agréable – pas follement excitante, mais son futur retour à l’allomancie réglerait le problème.
Restaient deux frustrations. La première était sa capacité à rassembler des informations utiles ; elle éprouvait un agacement croissant à voir les gens éviter ses questions. Elle commençait à avoir assez d’expérience pour comprendre à quel point les intrigues étaient chose courante, mais elle restait trop novice pour qu’on la mette dans la confidence.
Malgré tout, bien que son statut d’étrangère la contrarie, Kelsier lui assurait que ça finirait par changer. La seconde frustration était bien moins facile à gérer. Lord Elend Venture s’était fait remarquer par son absence à plusieurs bals ces dernières semaines, et il ne lui était plus jamais arrivé de passer la soirée entière avec elle. Bien que Vin ait désormais rarement l’occasion de rester assise seule, elle commençait à comprendre qu’aucun des autres nobles ne possédait la même… profondeur qu’Elend. Aucun ne possédait sa vivacité d’esprit ni ses yeux honnêtes et francs. Les autres ne paraissaient pas authentiques. Pas comme lui.
Il ne paraissait pas chercher à l’éviter. Mais il ne paraissait pas non plus faire beaucoup d’efforts pour chercher sa compagnie.
Est-ce que je me suis trompée sur son compte ? se demanda-t-elle tandis que la voiture atteignait Fellise. Elend était parfois si difficile à comprendre. Malheureusement, son apparente indécision n’avait rien changé au tempérament de son ancienne fiancée. Vin commençait à comprendre pourquoi Kelsier lui avait déconseillé d’attirer l’attention de qui que ce soit d’important. Heureusement, elle croisait rarement Shan Elariel – mais lorsqu’elles se rencontraient, Shan profitait de la moindre occasion pour rabaisser, insulter et ridiculiser Vin. Elle le faisait avec un calme tout aristocratique, et même son maintien rappelait à Vin son infériorité.
Peut-être que je commence à trop m’attacher à mon personnage de Valette, songea Vin. Valette n’était qu’une façade ; elle était censée incarner tout ce dont Shan la qualifiait. Mais ses insultes la blessaient malgré tout.
Vin secoua la tête, chassant Shan aussi bien qu’Elend de son esprit. De la cendre était tombée pendant son trajet vers la ville, et bien que ce soit fini, il subsistait de petits amoncellements et tourbillons noirs que le vent charriait dans les rues. Des travailleurs skaa s’affairaient pour balayer la suie qu’ils versaient dans des poubelles qu’ils transportaient ensuite hors de la ville. Parfois, ils devaient se hâter pour ne pas se trouver sur le chemin d’une voiture de noble de passage, qui ne prenait jamais la peine de ralentir pour eux.
Les pauvres, se dit Vin, apercevant un groupe d’enfants en haillons qui secouaient des trembles pour faire tomber la cendre afin qu’on puisse la balayer – il ne serait pas convenable qu’un noble passant par là reçoive sur la tête un tas de cendre tombée d’un arbre. Les enfants les secouaient, deux par tronc, ce qui faisait pleuvoir sur leur tête de furieuses averses noires. Des contremaîtres prudents, armés de cannes, remontaient la rue dans les deux sens pour s’assurer qu’ils travaillaient.
Elend et les autres, se dit-elle. Ils ne doivent pas comprendre à quel point la vie est terrible pour les skaa. Ils vivent dans leurs jolis bastions sans jamais constater l’étendue de l’oppression du Seigneur Maître.
Elle voyait une certaine beauté chez les nobles – elle n’était pas comme Kelsier, qui les détestait tous en bloc. Certains paraissaient très gentils, à leur façon, et elle commençait à comprendre que certaines des histoires que racontaient les skaa au sujet de leur cruauté devaient être exagérées. Et pourtant, quand elle assistait à des événements comme l’exécution de ce pauvre garçon ou voyait travailler ces enfants skaa, elle s’interrogeait. Comment les nobles ne voyaient-ils rien ? Comment pouvaient-ils ne pas comprendre ?
Elle soupira et détourna le regard tandis que la voiture atteignait le Manoir Renoux. Elle remarqua aussitôt un grand rassemblement dans la cour intérieure et s’empara d’un flacon de métaux rempli, redoutant que le Seigneur Maître ait envoyé des soldats arrêter lord Renoux. Cependant, elle comprit rapidement que la foule ne se composait pas de soldats, mais de skaa vêtus de tenues de travail grossières.
La voiture franchit les portes et la confusion de Vin s’accrut. Des boîtes et des sacs s’entassaient au milieu des skaa – dont beaucoup étaient couverts de suie à la suite de la récente chute de cendres. Les travailleurs eux-mêmes s’affairaient à charger une série de charrettes. La voiture de Vin s’arrêta devant le manoir, et elle n’attendit pas que Sazed ouvre la portière. Elle sortit seule, soulevant sa robe pour rejoindre Kelsier et Renoux qui surveillaient les opérations.
— Vous transférez les marchandises vers les grottes à partir d’ici ? leur demanda-t-elle à mi-voix.
— Inclinez-vous devant moi, mon enfant, dit lord Renoux. Sauvons les apparences tant qu’on peut nous voir.
Vin s’exécuta, contenant son agacement.
— Évidemment, Vin, répondit Kelsier. Renoux doit bien faire quelque chose de toutes les armes et fournitures qu’il a rassemblées. Les gens commenceraient à se méfier s’il ne les envoyait nulle part.
Renoux hocha la tête.
— En apparence, nous les envoyons par péniche vers ma plantation à l’ouest. Mais, en réalité, les péniches s’arrêteront pour déposer les marchandises – ainsi qu’un grand nombre de bateliers – dans les grottes de la rébellion. Les péniches et une poignée d’hommes poursuivront le trajet pour les observateurs extérieurs.
— Nos soldats ne sauront même pas que Renoux est impliqué dans le plan, dit Kelsier en souriant. Ils le prennent pour un noble que j’escroque. Et puis ce sera une grande occasion pour nous d’aller inspecter l’armée. Après une semaine passée dans les grottes, nous pourrons revenir à Luthadel sur l’une des péniches de Renoux qui reviendra vers l’est.
Vin hésita.
— Nous ? demanda-t-elle, imaginant soudain des semaines passées à bord de la péniche, à regarder défiler le même paysage monotone un jour interminable après l’autre – ce serait encore pire que les trajets incessants entre Luthadel et Fellise.
Kelsier haussa un sourcil.
— Tu sembles inquiète. Je connais quelqu’un qui a l’air de commencer à apprécier les bals et les fêtes.
Vin rougit.
— Je me disais simplement qu’il valait mieux que je reste ici. Je veux dire qu’après avoir été absente si longtemps parce que j’étais malade, je…
Kelsier leva la main en gloussant.
— Tu vas rester ; c’est Yeden et moi qui partons. J’ai besoin d’inspecter les troupes et Yeden va prendre le relais pour surveiller l’armée, afin que Ham puisse revenir à Luthadel. Nous allons aussi emmener mon frère avec nous puis le déposer auprès des acolytes du Ministère à Vennias. C’est une bonne chose que tu sois de retour – je veux que tu passes un moment avec lui avant notre départ.
Vin fronça les sourcils.
— Avec Marsh ?
Kelsier hocha la tête.
— C’est un Brumant Traqueur. Le bronze est l’un des métaux les moins utiles, surtout pour un Fils-des-brumes, mais Marsh affirme qu’il peut te montrer quelques astuces. Ce sera sans doute ta dernière chance de t’entraîner avec lui.
Vin jeta un coup d’œil vers la caravane en formation.
— Où est-il ?
Kelsier fronça les sourcils.
— Il est en retard.
C’est de famille, on dirait
— Il devrait arriver très bientôt, mon enfant, dit lord Renoux. Vous aimeriez peut-être rentrer prendre un rafraîchissement ?
J’ai déjà eu bien assez de rafraîchissements ces derniers temps, se dit-elle, contenant son agacement. Au lieu de rentrer dans le manoir elle erra dans la cour, inspectant les marchandises et les travailleurs qui entassaient les fournitures sur des charrettes pour qu’on les transporte vers les quais fluviaux. La propriété était soigneusement entretenue, et bien qu’on n’ait pas encore nettoyé la cendre, l’herbe taillée ras signifiait qu’elle n’était pas obligée de lever sa robe très haut pour l’empêcher de traîner par terre.
Ce détail mis à part, la cendre était étonnamment facile à ôter de ses habits. En le nettoyant correctement à l’aide de savons coûteux, on pouvait même laver un vêtement blanc. C’était pour cette raison que les nobles paraissaient constamment porter des habits neufs. Il était si facile, si simple, de diviser les skaa et les aristocrates.
Kelsier a raison, se dit Vin. Je commence à apprécier d’être noble. Et elle s’inquiétait des changements que son nouveau style de vie encourageait en elle. À une époque, ses problèmes étaient des choses comme la faim et les coups – à présent, c’étaient les longs trajets en voiture et les compagnons qui arrivaient en retard aux rendez-vous. Quel effet une telle transformation avait-elle sur les gens ?
Elle soupira pour elle-même tout en marchant parmi les fournitures. Certaines des boîtes seraient remplies d’armes – épées, bâtons arcs –, mais une grande partie des marchandises se composait de sacs de denrées alimentaires. Kelsier affirmait que la constitution d’une armée nécessitait beaucoup plus de céréales que d’acier.
Elle laissa ses doigts traîner le long d’une pile de boîtes, prenant soin de ne pas déplacer la cendre qui se trouvait au sommet. Elle savait qu’ils enverraient une péniche ce jour-là, mais elle ne s’était pas attendue à voir Kelsier partir avec. Bien entendu, il n’avait dû prendre cette décision que tout récemment – même le nouveau Kelsier, plus responsable, était un homme d’impulsions. Peut-être était-ce une qualité chez un meneur. Il ne craignait pas d’intégrer de nouvelles idées, quel que soit le moment où elles lui venaient.
Je devrais peut-être demander à l’accompagner, songea distraitement Vin. J’ai trop joué les nobles ces derniers temps. L’autre jour, elle s’était surprise à se tenir assise avec le dos très droit dans la voiture selon une posture guindée, alors même qu’elle s’y trouvait seule. Elle redoutait de perdre ses réflexes – être Valette lui devenait désormais presque plus naturel qu’être Vin.
Mais bien entendu, elle ne pouvait pas partir. Elle devait assister à un déjeuner avec lady Flavine, sans parler du bal des Hasting – ce serait la réception du mois. Si Valette le manquait, il lui faudrait des semaines pour réparer les dégâts. Et puis, il y avait toujours Elend. Il allait sans doute l’oublier si elle disparaissait de nouveau.
Il t’a déjà oubliée, songea-t-elle. Il t’a à peine adressé la parole lors des trois dernières fêtes. Garde la tête sur les épaules, Vin. Tout ça n’est qu’une escroquerie parmi tant d’autres – un jeu, comme ceux auxquels tu as participé auparavant. Tu te bâtis une réputation pour obtenir des informations, pas pour pouvoir courtiser et jouer.
Elle hocha la tête, pleine de résolution. Près d’elle, une poignée de skaa chargeait l’une des charrettes. Vin s’arrêta près d’une grosse pile de caisses et regarda les hommes travailler. D’après Dockson, le recrutement de l’armée s’accélérait.
On prend de la vitesse, songea Vin. J’imagine que la nouvelle se répand. C’était une bonne chose – à condition qu’elle ne se répande pas trop loin.
Elle observa un moment les porteurs, percevant quelque chose… d’étrange. Ils paraissaient déconcentrés. Au bout de quelques instants, elle parvint à déterminer la source de leur distraction. Ils jetaient des coups d’œil constants à Kelsier, chuchotant tout en travaillant. Vin s’approcha discrètement – sans s’éloigner des caisses – et brûla de l’étain.
— … non, c’est lui, aucun doute là-dessus, chuchota l’un des hommes. J’ai vu ses cicatrices.
— Il est grand, dit un autre.
— Évidemment. Tu t’attendais à quoi ?
— Il a pris la parole lors de la réunion où j’ai été recruté, dit un autre. Le Survivant de Hathsin.
Sa voix trahissait une crainte respectueuse.
Les hommes s’avancèrent pour soulever d’autres caisses. Vin pencha la tête, puis entreprit d’avancer parmi les travailleurs en tendant l’oreille. Tous ne parlaient pas de Kelsier, mais c’était le cas d’un nombre étonnant d’entre eux. Elle entendit également un certain nombre de références au « Onzième Métal ».
Alors c’est pour ça, se dit Vin. Ce n’est pas la rébellion qui gagne de la vitesse – c’est Kelsier. Les hommes parlaient de lui tout bas avec une sorte de déférence dans la voix. Ce détail la perturba sans qu’elle comprenne pourquoi. Elle n’aurait jamais été capable de rester à écouter ce genre de propos sur elle-même. Mais Kelsier les acceptait sans sourciller ; son ego charismatique ne faisait sans doute qu’alimenter encore davantage les rumeurs.
Je me demande s’il sera capable d’y renoncer quand tout ça sera fini. Les autres membres de la bande ne s’intéressaient visiblement pas au rôle de chef, mais Kelsier paraissait y prendre un grand plaisir. Laisserait-il réellement la rébellion skaa prendre le pouvoir ? Un homme pouvait-il renoncer à ce genre de pouvoir ?
Vin fronça les sourcils. Kelsier était quelqu’un de bien ; il ferait sans doute un bon dirigeant. Mais s’il tentait de prendre le contrôle, ça ressemblerait à une trahison – un manquement aux promesses faites à Yeden. Elle ne voulait pas voir Kelsier faire ces choses-là.
— Valette, l’appela-t-il.
Vin sursauta légèrement et se sentit un peu coupable. Kelsier lui désigna une charrette qui venait de pénétrer dans la propriété. Marsh arrivait. Elle revint sur ses pas tandis que la charrette s’arrêtait, et atteignit Kelsier à peu près en même temps que Marsh.
Kelsier sourit, désignant Vin d’un mouvement de tête.
— Nous ne serons pas prêts à partir avant un moment, dit-il à Marsh. Si tu as le temps, tu pourrais montrer quelques trucs à la petite ?
Marsh se tourna vers elle. Il avait la même carrure dégingandée que Kelsier et ses cheveux blonds, mais il était moins séduisant. Peut-être à cause de l’absence de sourire.
Il leva la main pour désigner le balcon à l’avant du manoir.
— Attends-moi là-haut.
Vin ouvrit la bouche pour répondre mais l’expression de Marsh la poussa à la refermer. Il lui rappelait l’ancien temps, sept mois plus tôt, où elle ne contestait jamais ses supérieurs. Elle se retourna, les laissant tous les trois, et pénétra dans le manoir.
Le trajet entre l’escalier et le balcon était bref. Quand elle arriva, elle tira une chaise et s’installa près de la balustrade de bois blanchi à la chaux. Le balcon, bien entendu, avait été récuré pour en nettoyer la cendre. En bas, Marsh s’entretenait toujours avec Kelsier et Renoux. Au-delà d’eux, au-delà même de la caravane qui se déployait, Vin voyait les collines arides situées à l’extérieur de la ville, éclairées par le soleil rouge.
Quelques mois à peine que je joue les nobles et je considère déjà tout ce qui n’est pas cultivé comme inférieur. Elle n’avait jamais trouvé ce paysage « aride » pendant les années passées à voyager avec Reen. Et d’après Kelsier, le pays tout entier était autrefois encore plus fertile que les jardins des nobles.
Pensait-il pouvoir retrouver ces choses-là ? Les Gardiens étaient peut-être capables de mémoriser des langues et des religions, mais pas de recréer des plantes disparues depuis longtemps. Ils ne pouvaient ni empêcher les chutes de cendres, ni chasser les brumes. Le monde changerait-il réellement à ce point si l’Empire Ultime disparaissait ?
Par ailleurs, le Seigneur Maître n’avait-il pas mérité d’une certaine façon d’être à sa place ? Il avait vaincu l’Insondable, ou du moins l’affirmait-il. Il avait sauvé le monde, ce qui – selon une logique un peu tordue – le faisait sien. Quel droit avaient-ils d’essayer de le lui reprendre ?
Elle s’interrogeait souvent sur ces choses-là, sans exprimer ses inquiétudes auprès des autres. Ils paraissaient tous croire au plan de Kelsier ; certains paraissaient même partager sa vision. Mais Vin hésitait davantage. Elle avait appris, comme Reen le lui avait enseigné, à se méfier de l’enthousiasme.
Et s’il y avait un plan de nature à rendre hésitant, c’était bien celui-là.
Toutefois, elle commençait à dépasser le stade où elle s’interrogeait sur ses propres motivations. Elle savait pourquoi elle restait au sein de la bande. Ce n’était pas pour le plan ; c’était pour les gens. Elle appréciait Kelsier. Elle appréciait Dockson, Brise et Ham. Elle aimait même cet étrange petit Spectre et son oncle grincheux. Elle n’avait jamais travaillé avec une bande comme celle-là.
Est-ce une assez bonne raison pour les laisser te faire tuer ? demanda la voix de Reen.
Vin hésita. Elle entendait moins souvent ses murmures dans sa tête ces temps-ci, mais ils étaient toujours là. L’enseignement de Reen, gravé en elle depuis seize ans, n’était pas si facile à oublier.
Marsh la rejoignit sur le balcon quelques instants plus tard. Il la regarda avec sa dureté habituelle, puis prit la parole.
— Kelsier veut apparemment que je passe la soirée à te former à l’allomancie. Commençons.
Vin hocha la tête.
Marsh la toisa, attendant visiblement davantage de réaction. Vin restait assise en silence. Vous n’êtes pas le seul à savoir vous montrer laconique, mon ami.
— Très bien, dit Marsh en s’asseyant près d’elle, posant un bras sur la balustrade du balcon. (Sa voix trahissait un peu moins d’agacement lorsqu’il reprit :) Kelsier dit que tu as passé très peu de temps à t’entraîner aux pouvoirs mentaux internes. C’est exact ?
Vin hocha de nouveau la tête.
— Je suppose que de nombreux Fils-des-brumes négligent ces pouvoirs, dit Marsh. Et c’est une erreur. Le bronze et le cuivre ne sont peut-être pas aussi tape-à-l’œil que d’autres métaux, mais ils peuvent se révéler très puissants entre les mains de quelqu’un de bien entraîné. Les Inquisiteurs se reposent sur la manipulation du bronze, et les Brumants du monde clandestin ne survivent que grâce à leur dépendance au cuivre.
» De ces deux pouvoirs, le bronze est de loin le plus subtil. Je peux t’apprendre à t’en servir correctement – si tu t’entraînes à ce que je vais te montrer, alors tu posséderas un avantage que négligent de nombreux Fils-des-brumes.
— Mais les autres Fils-des-brumes ne savent pas brûler du cuivre ? demanda Vin. À quoi bon apprendre le bronze si tous les gens que l’on combat sont immunisés contre ses pouvoirs ?
— Je vois que tu penses déjà comme eux, dit Marsh. Tout le monde n’est pas Fils-des-brumes, jeune fille – en fait, très peu de gens le sont. Et malgré ce qu’aiment penser tes semblables, les Brumants normaux peuvent tuer des gens, eux aussi. Savoir que l’homme qui t’attaque est un Cogneur plutôt qu’un Lance-pièces pourrait très bien te sauver la vie.
— D’accord, répondit Vin.
— Le bronze t’aidera aussi à identifier les Fils-des-brumes, poursuivit Marsh. Si tu vois quelqu’un recourir à l’allomancie quand il n’y a aucun Enfumeur dans les parages, mais que tu ne sens pas de vibrations allomantiques émanant de lui, alors tu sauras que c’est un Fils-des-brumes – ou alors, un Inquisiteur. Dans un cas comme dans l’autre, tu as tout intérêt à t’enfuir.
Vin hocha la tête en silence, tandis que sa blessure au flanc la lançait légèrement.
— Il y a de grands avantages à brûler du bronze, plutôt que de se balader en gardant ton cuivre activé. C’est vrai qu’on s’enfume soi-même en utilisant du cuivre – mais d’une certaine façon, on s’aveugle également. Le cuivre t’immunise contre la manipulation de tes émotions.
— Mais c’est une bonne chose.
Marsh pencha légèrement la tête.
— Ah bon ? Et qu’est-ce qui serait le plus avantageux ? Se retrouver immunisé contre les talents d’un Apaiseur, mais en les ignorant totalement ? Ou plutôt savoir, grâce au bronze, quelles émotions précises il tente d’effacer ?
Vin hésita.
— On peut voir quelque chose d’aussi précis ?
Marsh hocha la tête.
— Avec de l’application et de la pratique, on peut reconnaître des changements même infimes dans la façon dont ses adversaires brûlent leurs métaux. On peut identifier précisément quelles parties des émotions des gens un Apaiseur ou un Exalteur compte influencer. Tu pourras également déterminer quand quelqu’un est en train d’attiser son métal. Si tu deviens très douée, tu peux même arriver à déterminer quand leur réserve de métaux s’épuise.
Vin se tut, songeuse.
— Tu commences à en voir les avantages, dit Marsh. Parfait Maintenant, brûle du bronze.
Elle s’exécuta. Aussitôt, elle sentit deux battements cadencés dans l’air. Ces vibrations muettes déferlèrent sur elle comme le rythme d’un tambour ou le flux des vagues de l’océan. Elles se mêlaient et se confondaient.
— Qu’est-ce que tu sens ? demanda Marsh.
— Je… crois qu’on est en train de brûler deux métaux différents L’un provient de Kelsier, en bas, et l’autre de vous.
— Très bien, dit Marsh d’un ton approbateur. Tu t’es entraînée.
— Pas beaucoup, avoua Vin.
Il haussa un sourcil.
— Pas beaucoup ? Tu arrives déjà à déterminer l’origine des vibrations. Ça demande de la pratique.
Vin haussa les épaules.
— Ça me paraît naturel.
Marsh garda un temps le silence.
— Très bien, reprit-il enfin. Est-ce que les deux vibrations sont différentes ?
Vin se concentra, fronçant les sourcils.
— Ferme les yeux, lui dit Marsh. Élimine tout ce qui peut te distraire. Focalise-toi uniquement sur les vibrations allomantiques.
Vin s’exécuta. Ce n’était pas comme écouter – pas vraiment. Elle devait se concentrer pour distinguer quoi que ce soit de spécifique au sujet des vibrations. L’une d’elles lui donnait l’impression… d’exercer une pression contre elle. L’autre, selon une sensation étrange, paraissait l’attirer vers elle à chaque pulsation.
— L’un des deux est une Traction contre du métal, c’est ça ? demanda Vin en ouvrant les yeux. Celui-là, c’est Kelsier. Vous êtes en train d’exercer une Poussée.
— Excellent, dit Marsh. Il brûle du fer, comme je lui ai demandé de le faire afin que tu puisses t’entraîner. Moi, bien entendu, je brûle du bronze.
— Est-ce qu’ils sont tous comme ça ? demanda-t-elle. Différents les uns des autres, je veux dire.
Marsh hocha la tête.
— Tu peux reconnaître une Traction d’une Poussée grâce à la signature allomantique. En fait, c’est comme ça que certains métaux se sont retrouvés divisés au départ entre leurs catégories. Il n’y a rien d’intuitif, par exemple, dans le fait que l’étain exerce une Traction et le potin une Poussée. Je ne t’ai pas dit d’ouvrir les yeux.
Vin les referma.
— Concentre-toi sur les pulsations, dit Marsh. Essaie de distinguer leur longueur. Est-ce que tu arrives à les différencier ?
Vin fronça les sourcils. Elle se concentra de toutes ses forces, mais sa perception des métaux paraissait… confuse. Embrouillée. Au bout de quelques minutes, la longueur des différentes pulsations lui paraissait toujours identique.
— Je ne sens rien, dit-elle, découragée.
— Parfait, répondit Marsh, impassible. Il m’a fallu dix mois d’entraînement avant de distinguer les longueurs des vibrations – si tu avais réussi à la première tentative, je me serais senti incompétent.
Vin ouvrit les yeux.
— Alors pourquoi me demander de le faire ?
— Parce que tu as besoin de pratique. Si tu arrivais déjà à distinguer les Tractions des Poussées… Eh bien, apparemment, tu es douée. Peut-être autant que Kelsier le clamait.
— Alors qu’est-ce que j’étais censée voir ? demanda Vin.
— Au bout du compte, tu parviendras à distinguer deux longueurs de vibration différentes. Les métaux internes, comme le bronze et le cuivre, émettent des ondes plus longues que les métaux externes, comme le fer et l’acier. La pratique te permettra également de percevoir les trois schémas auxquels obéissent les vibrations : un pour les métaux physiques, un pour les mentaux, et un pour les deux métaux supérieurs.
» Longueur d’onde, groupe de métaux et variance Poussée-Traction – une fois que tu connaîtras ces trois choses-là, tu seras capable de déterminer précisément quels métaux ton adversaire est en train de brûler. Une vibration longue qui exerce une pression contre toi et qui obéit à un schéma rapide sera du potin – le métal physique interne de Poussée.
— Pourquoi ces noms ? demanda Vin. Externes et internes ?
— Les métaux sont rassemblés par groupes de quatre – ou, du moins, les huit inférieurs. Deux métaux externes, deux internes pour chaque catégorie, un qui exerce une Traction et l’autre une Poussée. Avec le fer, tu tires sur quelque chose d’extérieur à toi, avec l’acier tu pousses sur quelque chose d’extérieur. Avec l’étain, tu tires sur quelque chose à l’intérieur de toi, avec le potin tu pousses sur quelque chose d’interne.
— Mais le bronze et le cuivre, répondit Vin, Kelsier les qualifiait de métaux internes, or on dirait qu’ils affectent des choses externes. Le cuivre empêche les gens de sentir qu’on utilise l’allomancie.
Marsh secoua la tête.
— Le cuivre ne change pas tes adversaires, il modifie quelque chose en toi qui a un effet sur eux. C’est pour cette raison qu’il s’agit d’un métal interne. Le laiton, en revanche, modifie directement les émotions des gens – et il s’agit d’un métal externe.
Vin acquiesça, pensive. Puis elle se retourna pour jeter un coup d’œil à Kelsier.
— Vous connaissez beaucoup de choses sur les métaux mais vous n’êtes qu’un Brumant, c’est bien ça ?
Marsh hocha la tête. Mais il ne paraissait pas disposé à répondre.
Dans ce cas, faisons un essai, se dit Vin, éteignant son bronze. Elle se mit à brûler légèrement du cuivre pour masquer son allemande. Marsh ne réagit pas mais continua à regarder Kelsier et la caravane.
Je devrais être invisible à ses perceptions, se dit-elle, brûlant prudemment du zinc et du laiton. Très subtilement, comme Brise lui apprenait à le faire, elle toucha les émotions de Marsh. Elle effaça ses soupçons et inhibitions, tout en faisant ressortir son sens du regret. En théorie, voilà qui devait le rendre plus disposé à parler.
— Vous avez bien dû apprendre quelque part ? demanda prudemment Vin.
Il va forcément voir ce que je fais. Il va se mettre en colère et…
— J’ai basculé quand j’étais très jeune, répondit Marsh. J’ai eu beaucoup de temps pour m’entraîner.
— Comme beaucoup de gens, dit Vin.
— J’avais… mes raisons. Difficiles à expliquer.
— Elles le sont toujours, répondit Vin, accentuant légèrement sa pression allomantique.
— Tu sais ce que Kelsier pense des nobles ? demanda Marsh en se retournant vers elle, un éclat glacial dans les yeux.
Œil-de-fer, songea-t-elle. Comme on me l’avait dit. Elle répondit à cette question en hochant la tête.
— Eh bien, je pense la même chose des obligateurs, dit-il en se détournant. Je ferais n’importe quoi pour leur faire du mal. Ils nous ont pris notre mère – c’est là que j’ai basculé, et c’est là que j’ai juré de les détruire. Donc j’ai rejoint la rébellion et commencé à apprendre tout ce que je pouvais sur l’allomancie. Comme les Inquisiteurs s’en servent, je devais la comprendre – comprendre tout ce que je pouvais, devenir aussi doué que je le pouvais… et est-ce que tu es en train de m’apaiser ?
Vin sursauta, éteignant brusquement ses métaux. Marsh se retourna de nouveau vers elle, l’expression glaciale.
Va-t’en ! se dit Vin. Elle faillit le faire. C’était agréable de savoir que ses vieux réflexes étaient toujours là, quoique légèrement enfouis.
— Oui, dit-elle docilement.
— Tu es vraiment douée. Je ne m’en serais jamais aperçu si je ne m’étais pas mis à parler pour ne rien dire. Arrête.
— C’est déjà fait.
— Parfait, dit Marsh. C’est la deuxième fois que tu modifies mes émotions. Ne recommence jamais.
Vin hocha la tête.
— La deuxième ?
— La première, c’était dans ma boutique, il y a huit mois.
C’est vrai. Pourquoi est-ce que je ne me souviens pas de lui ?
— Désolée.
Marsh secoua la tête et se détourna enfin.
— Tu es une Fille-des-brumes – c’est dans ta nature. Il fait la même chose.
Il regardait Kelsier.
Ils gardèrent quelques instants le silence.
— Marsh ? demanda Vin. Comment vous avez su que j’étais une Fille-des-brumes ? À l’époque, je savais seulement apaiser.
Marsh secoua la tête.
— Tu connaissais les autres métaux par instinct. Tu as brûlé du potin et de l’étain ce jour-là – rien qu’une infime proportion, à peine perceptible. Tu as dû trouver ces métaux dans l’eau et les couverts. Tu t’es déjà demandé pourquoi tu avais survécu alors que tant d’autres étaient morts ?
Vin hésita. C’est vrai que j’ai survécu à pas mal de coups. Beaucoup de jours sans nourriture, de nuits passées dans des ruelles sous la pluie ou les chutes de cendres…
Marsh hocha la tête.
— Très peu de gens, même les Fils-des-brumes, sont assez en harmonie avec l’allomancie pour brûler les métaux instinctivement. C’est ce qui m’a intéressé chez toi – c’est pour ça que je t’ai gardée à l’œil et que j’ai indiqué à Dockson où te trouver. Et est-ce que tu es encore en train de manipuler mes émotions ?
Vin secoua la tête.
— Je vous promets que non.
Marsh fronça les sourcils, et l’étudia avec l’un de ses regards insensibles.
— Ce que vous êtes sévère, dit doucement Vin. Comme mon frère.
— Vous étiez proches ?
— Je le détestais, chuchota Vin.
Marsh marqua une pause, puis se détourna.
— Je vois.
— Vous détestez Kelsier ?
Marsh secoua la tête.
— Non, je ne le déteste pas. Il est futile et orgueilleux, mais c’est mon frère.
— Et ça vous suffit ? demanda Vin.
Marsh hocha la tête.
— J’ai… du mal à comprendre ça, dit Vin en toute sincérité, en contemplant le champ de skaa, de caisses et de sacs.
— Je suppose que ton frère ne te traitait pas très bien ?
Vin fit signe que non.
— Et vos parents ? demanda Marsh. L’un d’entre eux était noble. Et l’autre ?
— Elle était folle, répondit Vin. Elle entendait des voix. C’en est arrivé au point où mon frère avait peur qu’on reste seuls avec elle. Mais bien sûr, on n’avait pas le choix…
Marsh restait assis en silence. Comment est-ce que cette conversation s’est retournée sur moi ? songea Vin. Ce n’est pas un Apaiseur, mais il en apprend autant sur moi que moi sur lui.
Malgré tout, c’était agréable d’en parler enfin. Elle tendit la main pour tâter distraitement sa boucle d’oreille.
— Je ne m’en souviens pas, dit-elle, mais Reen disait qu’il était rentré un jour pour trouver ma mère couverte de sang. Elle venait de tuer ma petite sœur, qui était encore bébé. Et salement. Mais moi, elle ne m’avait pas touchée – à part pour me donner une boucle d’oreille. Reen disait… Qu’elle me tenait sur ses genoux, en jacassant que j’étais une reine, avec le cadavre de notre sœur à nos pieds. Il m’a prise à ma mère et elle s’est enfuie. Il m’a sans doute sauvé la vie. Je crois que c’est en partie pour ça que je suis restée avec lui. Même quand ça se passait mal.
Elle secoua la tête en regardant Marsh.
— Mais vous ne connaissez toujours pas votre chance d’avoir un frère comme Kelsier.
— Sans doute, répondit Marsh. Simplement… j’aimerais qu’il ne traite pas les gens comme des jouets. Il m’est arrivé de tuer des obligateurs, mais assassiner des gens simplement parce qu’ils sont nobles… (Marsh secoua la tête.) Enfin, il n’y a pas que ça non plus. Il aime que les gens le flattent.
Il avait raison sur ce point. Malgré tout, Vin détectait autre chose dans sa voix. De la jalousie ? Vous êtes le frère aîné, Marsh. Vous étiez le plus responsable des deux – vous avez rejoint la rébellion au lieu de travailler avec les voleurs. Ça a dû vous blesser que Kelsier soit celui que tout le monde apprécie.
— Cela dit, ajouta Marsh, il s’améliore. Les Fosses l’ont changé. La… mort de sa femme l’a changé.
Qu’est-ce qui se passe ? se demanda Vin, s’animant légèrement. Il y avait indubitablement quelque chose, là aussi. De la douleur. Une douleur profonde, davantage que celle qu’un homme devrait éprouver pour une belle-sœur.
Alors c’est ça. Pas seulement le fait que « tout le monde » préfère Kelsier, mais une personne en particulier. Quelqu’un que vous aimiez.
— Enfin bref, dit Marsh d’une voix qui gagnait en fermeté. Il s’est défait de son arrogance passée. Son plan est insensé, et je suis sûr qu’il le fait en partie pour pouvoir s’enrichir, mais… eh bien, il n’était pas obligé de se tourner vers la rébellion. Il essaie de faire quelque chose de bien – même si ça va certainement le faire tuer.
— Alors pourquoi le suivre si vous êtes si sûr qu’il va échouer ?
— Parce qu’il va me faire entrer au Ministère, répondit Marsh. Les informations que j’y recueillerai aideront la rébellion des siècles après notre mort, à Kelsier et à moi.
Vin hocha la tête et baissa les yeux vers la cour. Elle reprit la parole, hésitante.
— Marsh, je ne crois pas qu’il ait vraiment renoncé à tout ça. La façon dont il se présente auprès des skaa… La façon dont ils commencent à le regarder…
— Je sais, répondit Marsh. Tout a commencé par son idée concernant le « Onzième Métal ». Je ne crois pas qu’on doive s’en inquiéter – Kell joue simplement à ses jeux habituels.
— Mais du coup, je me demande pourquoi il participe à ce voyage, déclara Vin. Il va rester à l’écart de l’action un bon mois.
Marsh secoua la tête.
— Il aura une armée entière devant laquelle se donner en spectacle. Et puis il a besoin de sortir de la ville. Sa réputation commence à lui échapper et les nobles à trop s’intéresser au Survivant. Si la rumeur se répandait qu’un homme aux bras couverts de cicatrices réside chez lord Renoux…
Vin hocha la tête, compréhensive.
— Pour l’instant, dit Marsh, il joue le rôle de l’un des parents éloignés de Renoux. Cet homme doit partir avant que quelqu’un établisse le lien avec le Survivant. Quand Kell reviendra, il devra faire profil bas – se faufiler discrètement dans le manoir au lieu de monter les marches, garder le capuchon baissé quand il se trouve à Luthadel.
Marsh laissa sa phrase en suspens, puis se leva.
— Enfin bref, je t’ai donné les bases. Maintenant, il faut simplement que tu t’entraînes. Chaque fois que tu te trouves avec des Brumants, demande-leur de brûler des métaux pour toi et concentre-toi sur leurs vibrations allomantiques. Si on se retrouve, je t’en montrerai davantage, mais je ne peux rien faire de plus avant que tu aies pratiqué.
Vin hocha la tête, et Marsh franchit la porte sans davantage d’adieux. Quelques instants plus tard, elle le vit s’approcher de nouveau de Kelsier et de Renoux.
Ils ne se détestent vraiment pas, se dit Vin, reposant les deux bras croisés sur la balustrade. À quoi est-ce que ça peut ressembler ? Après réflexion, elle décida que le concept d’aimer ses frères et sœurs ressemblait un peu aux vibrations allomantiques qu’elle était censée rechercher – elles lui étaient encore trop inconnues pour qu’elle les comprenne.